Se connaître soi-même et connaître le monde au-delà du temps et de l’espace

Can the past help the present? (Le passé peut-il aider le présent ?)
Can the dead save the living? (Les mort peuvent-ils sauver les vivants ?)
Ce sont les paroles que Han Gang, première femme asiatique à recevoir le prix Nobel de littérature en 2024, a prononcées dans son discours de remerciement. Elle a souvent vécu des conflits en écrivant des romans sur des soulèvements populaires dans son pays et leurs conséquences tragiques ; mais selon elle, c’est précisément dans ces conflits que le passé aidait le présent et que les morts sauvaient les vivants.
Les deux questions sont importantes également pour nous, membres de la Faculté des lettres, car les études menées dans nos disciplines portent souvent sur des époques révolues, sur des activités des personnes dans le passé.
Pour les gens qui vivaient à une époque et dans un espace différents des nôtres, quels étaient leurs plaisirs, leurs inquiétudes et leurs conflits… ? Comment et dans quelle mesure pouvons-nous connaître des personnes que nous ne pouvons plus rencontrer ? Malgré la grande difficulté de cette tâche, nous sommes poussés par la curiosité et l’imagination à essayer de dialoguer avec des gens du passé. Ainsi continuons-nous la tentative de déchiffrer les messages contenus dans les mots et les choses qu’ils ont laissés, à savoir les idées, les œuvres d’art, les vestiges de communautés ou les artefacts. Cette démarche s’effectue par le biais d’une gamme d’approches dans différents domaines, tels que la philosophie, les études religieuses, l’histoire, l’archéologie, la linguistique ou la littérature.
Mais la signification de nos études à travers le temps et l’espace ne s’arrête pas là. Par nos recherches sur le passé, nous n’apprenons pas seulement à connaître ceux qui ont vécu, mais aussi à nous connaître nous-mêmes : ce n’est qu’en étudiant des activités de personnes de différentes époques et de différentes sociétés que nous pouvons relativiser la société contemporaine et notre existence dans celle-ci. En ce sens, les approches psychologique et sociologique, qui se focalisent plutôt sur le présent que sur le passé, apparaissent elles aussi importantes. Les diverses expériences d’apprentissage dans la Faculté des lettres servent à relativiser notre situation, à nous replacer « ici et maintenant » dans une longue période et un vaste espace, pour retrouver notre spécificité.
En outre, les recherches sur les décisions prises dans le passé et sur leurs conséquences peuvent nous guider en nous évitant de prendre de mauvaises décisions pour l’avenir. Certes, les événements passés ne peuvent pas être appliqués directement aux événements futurs ; la plupart des choix importants dans la société impliquent des dilemmes et ne se réduisent pas à une seule bonne réponse. Cependant, nous pouvons détacher du contexte original des expériences vécues par les autres et s’interroger sur leur signification dans le contexte de nouveaux événements, pour nous y préparer dans une certaine mesure. Face aux grands défis contemporains, tels que la destruction de l’environnement, les guerres, les catastrophes, les maladie infectieuses inconnues, ou l’aggravation des inégalités, nous ne devons pas manquer de tirer des leçons du passé.
Dans cette optique, nous pouvons certainement répondre par l’affirmative aux deux questions posées au début. Pour nous servir des messages délivrés au-delà du temps et de l’espace, il sera de plus en plus important de collaborer avec diverses disciplines des sciences humaines ou naturelles, qui abordent les questions majeures de la société contemporaine, et d’y apporter des contributions originales. Que tous ceux qui ont étudié et tous ceux qui étudieront à la Faculté des lettres jouent un rôle dans ce travail.
Yukiko Muramoto
57e Doyenne de la Faculté des Lettres