iroyuki
Ninomiya, mort le lundi 13 mars des suites d'un
cancer, était un des grands
historiens japonais de
la génération qui, dans
le dernier quart du XXe
siècle, avait contribué
à renouveler de fond en
comble les approches strictement positivistes, nationalistes ou marxistes-léninistes qui dominaient
alors l'historiographie
du Japon.
Né en
1932, Hiroyuki Ninomiya avait choisi
d'étudier la langue et l'histoire françaises parce qu'en pleine période de guerre froide et dans un pays encore occupé
par les Américains, il ne " voulait pas choisir entre Moscou et Washington".
Après de brillantes
études àl'Université de
Tokyo, où il se passionne pour la Révolution française sous la direction
de son professeur, Kohachiro
Takahashi, un proche d'Albert
Soboul, Hiroyuki Ninomiya décide de se lancer dans l'étude de l'Ancien Régime et vient étudier à Paris de 1960 à 1966.
Là, il fréquente les séminaires de Jean Meuvret et
d'Ernest Labrousse, se
lie à Emmanuel Le Roy Ladurie,
découvre la "nouvelle histoire" des Annales qu'il contribuera, par ses traductions, ou par celles qu'il dirigea, à faire connaître très tôt au Japon.
C'est grâce à lui
et à la Société franco-japonaise d'histoire qu'il anime que de nombreux historiens français connaîtront le Japon et s'y feront connaître tels que Jacques Le Goff,
Maurice Agulhon, Denis Lombard, Michèle Perrot, Roger Chartier... Hiroyuki Ninomiya avait
une prédilection pour
Marc Bloch auquel il a consacré un très bel ouvrage (publié à Tokyo en
2005).
Mais
Hiroyuki Ninomiya n'était pas qu'un
bon connaisseur de la France et
de ses historiens. Il contribua par la profondeur
de sa réflexion épistémologique et ses nombreuses publications à aider les historiens japonais à défricher eux-mêmes de
nouveaux territoires et à
produire une nouvelle manière d'écrire l'histoire,
plus ouverte aux autres
disciplines. Yoshihiko Amino, le grand historien du Moyen Age japonais mort en 2003, lui devait beaucoup.
Avec Amino et quelques
autres, spécialistes du Japon ou
de l'Occident, il avait fondé en 1984 une revue interdisciplinaire Recherches d'histoire
sociale qui permettra
à la nouvelle histoire japonaise
de s'imposer dans le
champ des sciences sociales.
Homme fin
et cultivé, parlant un français merveilleux,
Hiroyuki Ninomiya était aussi
un de ces grands professeurs qui ont formé des générations d'historiens à l'Université des langues étrangères où il enseigna longtemps. Il n'aimait guère les honneurs et préférait la discrétion et l'ombre de la recherche aux feux de la rampe.
Pierre-François Souyri
Article paru dans l'édition du 23.03.06
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